Making of SwissCovid

Février 2020 : le premier cas confirmé de COVID-19 en Suisse. La personne malade a séjourné dix jours plus tôt en Italie, lors d’un rassemblement près de Milan.

La propagation rapide de la pandémie incite le Conseil fédéral à interdire les manifestations publiques et privées. Les magasins, les restaurants et les lieux de divertissement sont fermés. Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, l’armée est mobilisée et la vie publique s’arrête. Les bureaux sont désertés et on se retrouve d’un seul coup en télétravail.

Avec la fermeture des lieux publiques, le débat sur la stratégie à adopter après le lockdown s’enflamme. La procédure “TTIQ” (Test, Trace, Isolate, Quarantine) se dessine très tôt comme une voie possible. L’épidémiologiste Marcel Salathé et l’artiste Nicky Case nous inspirent avec leur travail sous le hashtag “One step Ahead”. Comment pourrions-nous avoir une longueur d’avance sur le virus et interrompre la chaîne de contagion, et ce sans porter atteinte à la vie privée? Nous faisons ce que nous faisons le mieux et décidons de construire une application de suivi des contacts.

Il reste peu de temps pour la mise en œuvre. Le hackathon étant prévu la dernière semaine de mars, nous avons l’occasion de nous atteler à un concept de traçage de proximité qui protège les données privées des utilisateurs. Notre équipe passe tout un week-end à travailler sans relâche sur une solution. Le défi est de taille, mais l’engagement porte ses fruits : à la fin du hackathon, nous avons entre les mains un prototype de traçage de proximité décentralisé : une application Android et iOS. Et une nouvelle marque : Next Step.

Même si l’avenir est plus que jamais dans l’obscurité, nous mettons un pied devant l’autre. En mode spécial, nous créons un site web et du matériel d’information sur l’application Next Step, dans le but de diffuser notre idée auprès du grand public. Nous mettons l’accent sur un langage de conception clair et transparent, afin de rendre l’architecture technique complexe facilement accessible. Le code source est accessible au public depuis le début.

Ubique se joint à DP-3T : un consortium international avec la participation de l’EPFL et de l’ETH Zurich. DP-3T formalise l’approche du Privacy Preserving Proximity Tracing que nous suivons également avec Next Step.

Un rapprochement historique a lieu : Apple et Google s’inspirent de DP3T et décident de collaborer : ensemble, ils annoncent la mise à disposition d’une interface sur leurs systèmes d’exploitation mobiles, afin que les applications numériques de traçage de proximité puissent être développées de manière optimale sur le modèle de DP3T.

Nous sommes donc les premiers au monde à utiliser cette interface, ce qui nous met dans une position exceptionnelle pour collaborer d’égal à égal avec les géants de la tech. Nous sommes en contact étroit avec eux et leur fournissons un feedback qu’ils peuvent directement intégrer. Ainsi, nous ne développons pas seulement SwissCovid, mais nous contribuons à façonner la technologie dans ce domaine au niveau international.

Le directeur de l’OFSP confirme publiquement que la Confédération veut utiliser une “Proximity Tracing App” dans la lutte contre la pandémie de Corona. L’app doit être créée en collaboration avec les deux hautes écoles EPFL et ETH Zurich et se baser sur les travaux de DP3T. C’est la naissance de l’application SwissCovid.

Alors que la vie publique est toujours à l’arrêt, l’application DP3T, la base de SwissCovid, quitte le laboratoire pour être testée sur le front. L’armée nous apporte son soutien en réalisant des expériences pour calibrer l’intensité du signal mesuré. Des chercheurs de l’EPFL et de l’ETH Zurich testent le Contact Tracing décentralisé dans des situations réelles, comme dans un compartiment de train ou dans des établissements de restauration.

Alors que nous continuons à ne voir nos collègues que sous forme de pixels, nous passons une phase particulièrement interdisciplinaire et intensive. Nous sommes fiers d’annoncer la sortie de la première application basée sur le nouveau système de notification d’exposition. Celle-ci sera largement utilisée comme pilote productif, également dans l’armée.

L’application est désormais techniquement prête. Il ne manque plus que le cadre légal pour utiliser l’application dans la lutte contre la pandémie. La base légale nécessaire au déploiement de l’application à grande échelle verra le jour lors de la session d’été. Avec un résultat clair, le Parlement suisse adopte la loi PT - un signal important pour l’acceptation du projet. C’est parti !

À minuit, du 24 au 25 juin 2020, la version 1.0 de l’application SwissCovid est publiée dans les deux App Stores. Nous avons derrière nous trois mois de travail en état d’urgence : développement intensif, conception, tests ainsi qu’échanges avec les corps politique et les médias.

Après un peu plus d’une semaine depuis le lancement de l’application, un million d’utilisateurs fut atteint.

Un preprint d’une étude scientifique paraît : “Early evidence of effectiveness of digital contact tracing for SARS-CoV-2 in Switzerland”. Les premiers résultats montrent que le traçage de proximité au moyen de la notification d’exposition peut interrompre efficacement les chaînes d’infection. Il est donc prouvé que SwissCovid apporte une contribution utile à l’endiguement de la pandémie.

L’assouplissement des mesures en été s’accompagne de l’obligation d’indiquer ses coordonnées lors de rassemblements publiques, dans les établissements de restauration, etc. Il apparaît rapidement que des solutions numériques peuvent aider dans ce domaine - mais qu’en est-il de la protection les données privées des utilisateurs? Des chercheurs de l’EPFL publient “CrowdNotifier”, un protocole qui permet justement d’avertir les visiteurs d’un événement ou d’un établissement de restauration lorsqu’une personne testée positive était présente au même moment. Ce traçage de présence est basé sur les mêmes principes que SwissCovid.

Le problème : le stockage centralisé des données personnelles sur des serveurs non sécurisés ou sur des listes manuscrites. Notre approche : en nous basant sur CrowdNotifier, nous construisons une autre application, NotifyMe. Lors du check-in à un événement avec NotifyMe, l’ID cryptée du lieu est enregistrée localement sur le smartphone. Si un participant se fait porter malade, les autres personnes sont averties de manière anonyme.

Nous sommes en automne 2020 et le nombre d’infections et de décès augmente à nouveau rapidement. La Confédération ordonne de nouvelles mesures et renforce les mesures existantes.

La phase de test de NotifyMe débute en janvier à l’EPFL. Jusqu’à présent, l’application d’enregistrement est utilisée dans les salles de classe, les cafétérias et les salles de réunion et sera progressivement déployée sur le campus de Lausanne.

En tant que pionniers dans le domaine du Contact Tracing numérique, nous établissons un standard international avec SwissCovid. Nous mettons le code source et les éléments de conception à disposition au public, ce dont de nombreux pays du monde entier font usage et construisent leurs propres systèmes sur cette base. Dès à présent, SwissCovid est également interopérable avec l’application allemande Corona-Warn.

Avec SwissCovid 2.0, il est désormais possible de s’enregistrer sans laisser de données personnelles. Les personnes qui se font enregistrer au même endroit peuvent désormais être averties d’une éventuelle contamination, quelle que soit la distance qui les sépare.

Deux ans exactement après avoir présenté Next Step, une application de traçage numérique de proximité, SwissCovid est temporairement désactivée. C’est probablement la seule app dont la désactivation nous soulage.

Pendant ce temps, plus de 200 000 personnes ont averti leurs contacts via SwissCovid après un test positif. Elles ont ainsi interrompu des chaînes d’infection et contribué activement à mieux surmonter la pandémie.

Ce projet nous a permis de refléter nos propres valeurs : nous voulons résoudre des problèmes qui touchent directement la vie des gens, développer des solutions qui simplifient le quotidien du plus grand nombre et numériser de manière judicieuse.